Lycka est née et a passé toute sa vie à Austin. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle a toujours eu l'impression que c'était elle qui était mariée à l'armée. Sa vie a toujours été bercée par les absences répétées de son père pour les missions. Chaque fois, il fallait un temps d'adaptation à celui-ci pour retrouver ses repères. Plus le temps passait et plus elle avait l'impression que cet homme n'était plus son père. Il était devenu plus sombre, plus moralisateur ainsi que bien plus susceptible. Les choses se sont compliquées au cours de la septième mission de Monsieur McKiben. Lycka avait tout juste dix-huit ans lorsqu'il est revenu après un an à l'étranger. Evidemment, il ne parlait jamais de ce qu'il avait du affronter. Cette fois-là, il dut rentrer car il était blessé. Les crises de colère s'enchaînaient et le couple McKiben a failli divorcer cette année-là.
Vous êtes incapables de comprendre ! Vous ne comprenez donc pas que je ne sers à rien ici. Je ne suis pas soldat pour être cloué au lit. Son père ne tarda pas à balancer la vaisselle qui trônait sur la table au sol. Le bruit du fracas fut important et Lycka partit se réfugier dans sa chambre.
Calme-toi, Tyler. Ne vois-tu donc pas que tu fais peur aux enfants ? Je t'ai toujours dit que si tu avais besoin de parler, je serais là pour toi. Tu attends quoi au juste ! Je ne t'en parle pas car tu es incapable de comprendre, Claudia. Tu ne pourras pas mesurer l'ampleur des choses que j'ai du affronter là-bas. A Austin, je suis inutile. On me félicite car j'ai sauvé certains de mes hommes au combat mais ce n'est QUE mon travail. Les crises de colère s'enchaînaient et le couple McKiben a failli divorcer cette année-là. En effet, Tyler McKiben est rapidement devenu exécrable avec sa famille. Tout le monde était content qu'il soit de retour sauf lui.
En restant ici, j'abandonne lâchement mes camarades alors qu'ils ont besoin de moi. J'en suis sûr, je le sens, je le sais. J'aurais du être soigné à Bagdad et non pas revenir à Austin. En restant là-bas, j'aurais pu retourner au combat plus rapidement. Les choses se tassèrent lorsque Claudia McKiben se montra à l'écoute et attentive à l'égard de son mari. A cette époque, Lycka refusait d'adresser un mot à son père, ayant mal pris les reproches qu'il avait pu lui faire malgré son jeune âge.
Lycka, viens manger s'il te plaît. Je suis désolée si je t'ai fait peur. Pour unique réponse, elle balança un livre qui s'écrasa contre la porte de sa chambre. Son père ne tenta pas une nouvelle fois de la convaincre. Le lien entre les deux semblait briser et Lilou le vivait à ses biens. En apparence. Puis, son père repartit en mission après un an de rétablissement et tout redevint comme avant.
Lycka, ton père est parti. Elle sortit alors de sa chambre pour regagner le salon et s'installa devant la télévision. Sa mère vint s'asseoir à côté d'elle.
Tu aurais pu venir avec nous pour l'accompagner jusqu'à l'avion. Non, merci. Bon débarras. A la maison ou pas, c'est la même chose. Il doit être heureux, il nous abandonne encore pour son plus grand bonheur ! Lilou avait plus l'impression que son frère était son vrai père. Six ans les séparant, il s'était toujours montré protecteur mais il n'hésitait pas à la réprimander quand il le fallait.
Madame McKiben, j'ai le regret de vous annoncer que votre mari est décédé au combat. Alors qu'elle était dans la maison, Lycka en sortit pour soutenir sa mère qui manqua de tomber sous le poids de l'émotion.
Son équipe a été prise d'assaut par les Talibans. Bon nombre de ses hommes ont également perdu la vie ce jour-là. Lilou serrait sa mère dans ses bras. Elle sentait son tee-shirt s'humidifier à cause des larmes de sa mère. Alors qu'elle aurait du être triste face à la perte de son père, elle se montra comme une fille à bout de nerfs, piquant une crise assez souvent. Ce tempérament de colérique est toujours présent en elle même si elle arrive à doser ses réactions aujourd'hui. Lycka ne quitta pas la maison pendant une semaine afin de rester au chevet de sa mère. Son frère était à la maison mais elle voulait être là. La semaine suivante, elle partit voir son petit-ami qui était un jeune soldat qu'elle avait rencontré sur la base.
Maman, je reviens. Elle marcha jusqu'au terrain de basket qui était leur lieu de rendez-vous. Il l'embrassa et elle savoura ce baiser comme si c'était le dernier.
Tu m'as manquée, mon coeur. Lycka se força à lui sourire légèrement puis le regarda d'un air grave.
Que se passe-t-il, Lily ? Elle poussa un long soupir puis se lança.
Ecoute, je n'ai pas la force de revivre cela. Les absences à long terme, l’inquiétude permanente... J'ai perdu mon père la semaine dernière et je ne me vois pas supporter un jour qu'on vienne m'annoncer que toi aussi, tu es mort au combat. Si je le pouvais, je couperais tous les liens que j'ai avec l'armée pour la simple et bonne raison que ça ne m'a apportée que du malheur. Je sais que c'est ta vie, c'est ce que tu veux faire. Moi, je ne veux pas passer ma vie à me morfondre en t'attendant. C'est terminé. Inconsciemment, elle s'était montrée plutôt glaciale et sa démarche était sans appel. Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et le laissa là, seul avec ses illusions. Depuis ce jour, l'armée est devenue comme sa bête noire. Son père à peine enterré, son frère s’enrôla pour continuer le travail qu'avait commencé leur père, soit-disant. Lycka ne manqua pas d'éclater en sanglots à cette annonce. Malgré toutes les tentatives possibles pour convaincre son frère de ne pas partir au front, rien n'y fit. Il est maintenant en mission en Afghanistan. Il donne des nouvelles à peu près tous les deux mois. Lilou essaye d'être un pilier pour sa mère et masque du mieux qu'elle peut sa propre inquiétude. Une "gamine" de son âge ne devrait pas avoir à supporter tout cela. L'armée cherchait à lui pourrir la vie, elle en était certaine !