I’m taking it slow, feeding my flame
Shuffling the cards of your game
And just in time, in the right place
Suddenly I will play my ace

Cela faisait deux semaines désormais. Il s’était très rapidement rendu compte, le soir même en fait, du léger problème dans son plan : Jaimie-Rose pouvait le contacter. L’inverse était impossible. Et si elle ne le contactait pas, et bien… Voilà, il en était bloqué à ce stade depuis deux foutues semaines. Il n’avait pas vraiment voulu y croire, ce soir-là, en rentrant chez lui pour trouver un appartement aussi désert que d’habitude. Il aurait cru la retrouver dans le canapé en train de regarder la télévision ou dans la chambre, endormie en l’attendant. Mais non, l’appartement était vide, vide, vide. Et cela s’était enchainé avec trois jours d’espoirs – peut-être avait-elle eu un contretemps, et elle finirait bien par venir de toute façon – puis le reste de la semaine à flipper comme un malade – c’était bon, quelqu’un l’avait retrouvée morte dans un faussé et il ne serait jamais prévenu – pour finir avec une semaine de résignation – connasse de rousse à s’être bien foutue de sa gueule.
Alors il s’était arrangé pour passer le plus de temps hors de son appartement, avec ses potes, en essayant de s’aérer la tête et d’arrêter de penser à elle. Sa semaine avait été rythmée par les répétitions du groupes, les soirées au bar avec les autres gars et la composition de chansons – et c’était assez incroyable, le nombre de mots rimant avec bitch.
Cette journée-là n’avait pas été différente des autres, au final. Jouer, écrire, aller boire un coup, jouer, écrire, écrire, écrire. Etrangement, pourtant, il se sentait beaucoup plus lessivé que les autres jours et il décida de ne pas passer la soirée au bar, contrairement à d’habitude. Il sentait bien que l’un de ses potes allait essayer de le caser avec la première donzelle venue et Nathaniel avait besoin de tout sauf de cela en ce moment.
Alors, le pas lourd, il entra dans son appartement, avec pour seule envie d’avaler quelque chose et d’aller s’effondrer dans son lit jusqu’au lendemain. Il envoya valser son trousseau de clés sur le comptoir de cuisine puis ouvrit le frigo à la recherche de nourriture. Ce ne fut que lorsqu’il eut la tête dans le frigo, hésitant entre une part de pizza squattant là depuis une durée indéterminée et un plat micro-ondable, qu’il se rendit compte qu’il n’avait eu besoin de tourner qu’une fois la clé dans la serrure au lieu des deux fois habituelle. Etrange.
Il releva la tête, empoigna un couteau de cuisine et retourna au salon avec un regard mi-farouche mi-épuisé. Mais il ne trouvait aucun cambrioleur, juste une squatteuse de canapé professionnelle. Il souffla et posa le couteau, tout de suite plus détendue. Seulement pour se souvenir quelques secondes plus tard qu’il était remonté contre elle. Il s’approcha alors d’elle et lui secoua l’épaule dans le but de la réveiller, oubliant d’être délicat par la même occasion.

- Jaimie ! Hey, Jaimie, debout !

Il attendit qu’elle soit un tant soit peu réveillée pour enchainer.

- Qu’est-ce que tu fous chez moi? Et j’espère que t’as une bonne excuse pour expliquer les deux semaines de retard.

You can’t choose what stays and what fades away
And I’d do anything to make you stay
No light, no light
Tell me what you want me to say

Lorsqu’elle ouvrit finalement les yeux et balança la première phrase, il ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux, ne serait-ce que pour une seconde. Cela se voyait bien, qu’elle parlait sous le coup du sommeil, rendant ses paroles plus honnête qu’elle ne l’aurait sans doute voulu. Il fronça alors les sourcils et croisa les bras, espérant qu’une explication plus précise et tenant mieux la route allait suivre. Mais sans doute était-il plus imposant qu’il ne le souhaitait car elle buta sur chaque mot sortant de sa bouche et, l’espace d’une seconde, cela le fit fondre. Elle était adorable quand elle était gênée. Sauf qu’il n’avait pas du tout envie de la trouver adorable, pour l’instant, et qu’il s’efforça de garder un air impassible.
Du moins, jusqu’à ce que les vraies explications arrivèrent. Il ne put s’empêcher de soupirer lourdement et de détourner le regard, se passant une main dans les cheveux par la même occasion. Evidemment qu’elle avait des doutes, c’était à prévoir. Lui aussi en avait, même là alors qu’elle était en face de lui, même deux semaines plus tôt alors qu’il l’embrassait pour la première fois. Le contraire aurait été surprenant, connaissant leur passé. Meilleurs amis s’avouant leurs sentiments après des années de séparation, cela en aurait fait douter plus d’un.
Il se laissa tomber à côté d’elle dans le canapé, penchant la tête en arrière avec un soupire bruyant de plus.

- Deux semaines, Jarose. Deux putains de semaines ! T’aurais au moins pu, je sais pas, téléphoner pour me prévenir. J’suis pas un connard à ce point, j’aurais compris. Tu peux pas juste me virer de ta vie quand ça devient compliqué, pas après tout ce qui s’est passé…

Il releva la tête et la regarda, la regarda vraiment pour la première fois depuis qu’il était entré dans l’appartement. Elle ne pleurait pas cette fois, et c’était un soulagement. Il n’était qu’un homme, après tout, les larmes l’avaient toujours rendu inconfortable. Mais elle avait ce quelque chose dans les yeux, quelque chose qu’il n’avait plus vu depuis des années. Depuis, en fait, ce jour où elle avait appris que le père Noël n’existait pas. Ce regard d’enfant venant de perdre une partie de son innocence.
Il l’attira doucement vers lui, avec des gestes délicats, jusqu’à ce qu’elle soit assise sur lui. Il lui caressa alors les cheveux, comme pour la consoler et la rassurer.

- Je sais pas ce qui s’est passé dans ta vie pendant qu’on était séparés et je comprends si t’as pas envie de m’en parler tout de suite. Mais ça se voit qu’il y a au moins un connard qui t’a fait du mal et je déteste ça et si je faisais un peu plus que trente kilos tout mouillé, j’irais lui casser la gueule pour toi. Je suis pas ce genre de connard, tu le sais bien. Alors oublie cette histoire d’épée de Damoclès, ça va pas arriver. Pas avec moi.

Il lui offrit un petit sourire en coin alors qu’il replaçait une longue mèche rousse derrière son oreille.

- Je suis toujours pas convaincu qu’on ait fait le meilleur choix, tu sais… Mais je t’aime et c’est tout ce qui m’importe. Tu es tout ce qui m’importe. Alors, est-ce qu’on va faire des erreurs ? Trois tonnes. Est-ce que ça va être facile ? Bien sur que non. Mais je suis prêt à faire tous les efforts du monde pour nous si tu l’es aussi.

Il la prit alors dans les bras et déposa un baiser sur le haut de son crâne.

- C’est à cause de la clé de l’appart, hein ? Parce que j’essayais juste d’être dramatique et impressionnant, t’as pas besoin d’emménager tout de suite.

Even now when I’m alone
I’ve always known
With you I am home

Elle avait cette façon bien à elle, sans même s’en rendre compte, de l’empêcher de s’énerver dès qu’elle était à côté de lui. Il était remonté contre elle, pourtant, mais il n’avait fait qu’un regard pour qu’il redevienne doux comme un agneau. Il détestait autant qu’il admirait cet effet qu’elle avait sur lui. Il avait cessé de chercher à comprendre comme elle faisait ça quand il avait douze ans, de toute façon, parce qu’il savait bien qu’il y avait rien à faire contre ça.
Et c’était ainsi qu’il était passé de la colère à la tendresse en quelques instants, qu’il la consolait au lieu de lui crier dessus. Cela avait toujours été comme cela entre eux, de toute façon. Elle l’avait toujours mené par le bout du nez, ce n’était pas aujourd’hui que cela allait changer.
Lorsqu’elle lui dit ne pas vouloir abandonner son appartement, il se contenta tout d’abord de relever un sourcil, comme pour lui faire comprendre de repenser à ce qu’elle venait tout juste de dire. C’était tout elle, ça, ne pas tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler et dire la vérité, même si elle faisait du mal à entendre.

- On peut s’installer chez toi, ça me va aussi.

Il lui offrit un large sourire, à la limite de la provocation. Il savait très bien qu’aucun d’eux n’était prêt pour cette étape, peu importait les nombreuses fois, lorsqu’ils étaient ado, où ils avaient dit qu’ils finiraient colocataires une fois étudiants. Il y avait une grande différence, entre vivre entre potes et en couple, un énorme fossé qu’il n’était pas préparé à franchir pour l’instant.
Mais cela viendrait. Elle avait dit qu’ils étaient âme sœurs après tout, non ?

- Oh tu veux jouer à ça ?

Il se leva du canapé d’un bon et, en deux enjambés, lui fonça dessus pour l’attraper par la taille. Lorsqu’il fut certain qu’elle ne pouvait lui échapper, il fit semblant de la mordre à l’épaule, claquant des dents à quelques millimètres de sa peau. Il poussa un petit grognement qui se voulait effrayant et éclata de rire.

- Voyons voir… Je sais cuisiner. Je me prenais des baffes de la part de mes petites sœurs si je baissais pas la lunette des toilettes donc t’auras jamais de problème à ce niveau-là… Je rentre jamais tard, j’ai aucune console de jeu dans l’appart, un total de quatre potes que tu apprendras vite à connaitre et, hum… Il déposa lentement un baiser sur son épaule, là où il avait fait semblant de la mordre quelques instants plus tôt. Aucune fille ne t’arrive à la cheville selon moi, ça doit bien être un argument valable ça.

Si sa dernière phrase était de la séduction pure et simple, il ne mentait pas à propos du reste. Avoir grandi avec autant de sœurs avait ses avantages, après tout. Et, outre le fait qu’il savait bien que la salle de bain n’avait jamais été et ne serait jamais son territoire, cela lui avait permit d’apprendre beaucoup de choses à propos de la gente féminine. Il savait coiffer les cheveux, remonter les fermetures éclair des robes, accrocher les colliers et, surtout, vernir les ongles. Pas vraiment le genre de chose dont il se vanter facilement, bien entendu, mais tout de même le genre de chose dont il était capable. Et puis, elle le connaissait assez pour savoir qu’il n’était pas du genre à inviter des amis pour une soirée entre mecs jusqu’à deux heures du matin. Il avait toujours détesté cela, même.
Dans des gestes vifs, il resserra sa prise autour de la taille de Jaimie-Rose et, en quelques secondes, elle se retrouva à nouveau allongée dans le canapé. Il s’arrangea pour être allongé au dessus d’elle sans pour autant l’écraser et l’air malicieux de celui qui venait d’obtenir exactement ce qu’il voulait.

- Mais bon. Surtout la partie à propos du musicien de talent aux beaux yeux, j’imagine.

Every moment feels right
And I may feel like a fool
But I'm the only one dancing with you

Il aimait cette aisance avec laquelle ils interagissaient. Cela montrait certes qu’ils se connaissaient depuis longtemps, mais surtout qu’ils étaient à l’aise l’un avec l’autre, qu’ils n’avaient aucune barrière physique entre eux. Il n’aurait jamais osé agir ainsi avec une autre fille, surtout pas au début d’une relation. Il aurait fait le parfait gentleman anglais, avec les bonnes manières et l’éducation stricte qu’on lui avait données dès l’enfance. Mais c’était Jaimie-Rose alors, forcément, c’était différent. Bien sur, qu’il restait le bon gentleman, bien sur qu’il allait la traiter comme une princesse. Mais il y avait ce quelque chose en plus, cette aisance lorsqu’il la prenait dans ses bras. C’était indescriptible, unique, inimitable.
Il n’aurait jamais sauté sur une autre fille pour la prendre dans ses bras. Il n’aurait jamais plaqué une autre fille dans le canapé pour s’allonger au-dessus d’elle. Et, surtout, il n’aurait jamais aimé une autre fille autant qu’il aimait Jarose en cet instant. Et, au fond de lui, il savait qu’elle allait finir par emménager avec lui. Une semaine, un mois, un an… Il ne savait pas dans combien de temps, mais il savait que cela allait arriver. Et cette idée – et tout ce qui pouvait suivre après cela – lui plaisait bien plus qu’il ne l’aurait admis.
Il s’efforça de ne pas rire à l’air sérieux qu’elle essaya alors de prendre. Ce même visage qui avait accueillit Nathaniel de si nombreuses fois, à la veille d’un examen, lorsqu’elle voulait faire une session de révisions intenses mais savait bien que cela ne durerait que cinq minutes avant qu’ils ne se laissent distraire par tout, mais surtout par n’importe quoi. Il finit par éclater de rire, pourtant, et la regarda en se mordant la lèvre inférieure, amusé.

- Permission de tester le lit avec moi autant de fois que tu le souhaites : accordée.

Bien sur, que le sous-entendu plus que flagrat était volontaire, évidemment qu’il avait une idée précise sur le moyen utilisé pour tester le lit en question. Il n’était qu’un homme, après tout.
Offrant un large sourire à Jaimie-Rose, il passa un bras en dessous d’elle pour la surélevée légèrement, assez pour qu’elle vienne se coller à lui.

- Et désolé de te décevoir, mais tout est d’occasion dans cet appartement. Marchés aux puces, pour la plupart. Magasins d’occasion, associations caritatives… Bienvenue dans la vie d’un artiste, pauvre à mourir.

Il la redéposa sur le canapé en souriant, mais ses yeux étaient un peu plus tristes désormais. Il avait bien réussi à vivre par lui-même jusqu’à maintenant. Mais il ne se leurrait pas, vivre seul et sans grandes dépenses aidait à arrondir les fins de mois. Il fallait qu’elle comprenne qu’il ne serait pas de ces petits amis à l’inviter toujours au restaurant, à lui offrir des fleurs tous les dimanches et à lui faire de somptueux cadeaux pour son anniversaire. Il en était incapable, il le savait très bien. Et il fallait qu’elle le sache, elle aussi. Non pas qu’il la pensait vénale, bien sur que non. Il voulait juste qu’elle soit sure de ce dans quoi elle s’engageait.

- Une raison particulière pour laquelle tu n’as pas retourné ma chambre quelques secondes après ton arrivée ? Je t’ai connue plus fouineuse que ça, Gallagher.

Baby, maybe you've got nothing to lose
You could be the best of me
When I'm the worst for you

Il sentit bien que Jaimie se crispa légèrement alors qu’il sous-entendit les activités possibles dans sa chambre, et il savait qu’il valait mieux ne pas relever sa réaction. Ce genre de choses allait forcément arriver après tout, non ? Il n’arrivait pas vraiment à se faire à l’idée non plus, s’il était honnête. Mais il n’arrivait pas vraiment à se faire à l’idée que Jaimie était sa petite amie désormais. Que Jaimie était de retour dans sa vie. Peut-être que dire les choses à voix haute l’aidait à relativiser. Mais il n’était pas stupide. Si elle ne se sentait pas prête, voulait prendre son temps, c’était tout aussi bien aussi. Les choses étaient allées si rapidement, mieux valait ne pas précipiter encore plus la cadence.
Il sourit légèrement lorsqu’elle s’accrocha à lui comme un koala à sa branche, plus encore lorsque leurs doigts s’entremêlèrent et qu’elle l’embrassa avec douceur. Il savait bien qu’elle se ficherait pas mal de ne pas avoir le même niveau de vie que les sœurs Kardashians. Mais qu’elle le lui confirme ainsi était tout de même rassurant pour le jeune homme.
Il haussa un sourcil lorsque Jaimie lui répondit à propos de l’appartement, devinant aussitôt qu’elle mentait. Elle n’avait jamais vraiment été douée pour cela, de toute façon. Ou peut-être était-ce lui qui avait toujours su lire en elle comme dans un livre ouvert. Mais, étrangement et une fois de plus, il décida de ne pas relever. C’était nouveau, cette petite voix dans sa tête lui disant de ne pas la forcer à parler. Il l’avait toujours poussée à cracher le morceau quand elle lui cachait quelque chose, avant, sous le pretexte du « les meilleurs amis partagent toujours tout ». Alors c’était donc cela, être en couple ? Laisser à l’autre le droit de garder des secrets ? Etrange. Il allait devoir s’y habituer.

- Tour du propriétaire, oui. Bonne idée.

Il se leva d’un bon et prit la main de Jaimie pour la mettre sur ses pieds également. Il fit alors un tour sur lui-même, avec d’excentriques mouvements de bras, et n’importe qui d’autre se serait déjà emmêlé les pieds à sa place. Mais il avait un équilibre à toute épreuve, peu importe ce qu’il faisait.

- Salon tiret salle à manger tiret là où je travaille quand je suis tout seul. Là-bas, la cuisine, le frigo presque toujours vide car votre très cher hôte oublie toujours de faire les courses.

Il la tira par le poignet jusqu’au fond de la pièce, où il ouvrit une porte à la volée. Il ne put s’empêcher de ricaner, comme à chaque fois qu’il se trouvait malin à faire autant l’idiot pour le simple plaisir de le faire.

- Chambre. Mais soyons honnêtes, c’est plus la chambre de mes guitares que la mienne.

La pièce n’était pas bien grande, à peine la place pour mettre un lit et une armoire, mais on y trouvait pas moins de cinq guitares différentes. Il aimait cela, juste s’assoir sur son lit au milieu de la nuit, prendre la première qui lui passait sous la main et gratter les cordes pendant des heures. Il aimait cette liberté.
Il se tourna alors vers Jaimie pour la prendre dans ses bras et la serrer contre lui.

- On passera la salle de bain, c’est un bordel sans nom là-dedans. Mais c’est à peu près tout. Du bordel, du linge sale et des instruments un peu partout. Ta simple présence illumine les lieux.

I was lost, but you saved me
I'll go wherever you want to
'Cause I think that I've got to have you

Il avait vécu dans le même appartement depuis son arrivée à Austin, le premier sur lequel il était tombé avec un loyer dans ses moyens, et il n’avait jamais vraiment cherché à trouver un autre endroit ensuite. Il n’était pas vraiment attaché à son appartement, s’il était honnête. Ce n’était que quatre murs, de quoi dormir et manger, rien de plus. Aucun souvenir, aucun moment unique n’était jamais venu habiter les lieux. Il préférait toujours aller chez les autres, c’était plus facile ainsi. Mais, avec Jaimie, il sentait que cela pouvait être différent. Qu’elle pouvait finalement donner la vie qui manquait à cet endroit. Il imaginait déjà les soirées passées sur le canapé, à simplement regarder la télévision ou passer du temps ensemble, les nuits allongés côtes à côte à se chuchoter des secrets jusqu’au petit matin.
Il sourit contre ses lèvres lorsqu’elle l’embrassa, la serrant contre lui avec délicatesse. A vrai dire, appartement ou non, il était tout simplement heureux, irradiant de bonheur, à la simple idée de l’avoir à nouveau dans sa vie. Il n’était rien sans elle, l’ombre de lui-même. Il se doutait bien que cela ne pouvait pas être la plus saine des relations mais il n’hésitait pas à prendre le risque si c’était pour avoir la jolie rousse à ses côtés pour aussi longtemps que possible. Les problèmes viendraient sans doute, mais il savait qu’ils pouvaient surmonter n’importe quoi, tant qu’ils étaient ensemble. Et cela lui suffisait.

- Je pensais que tu préférais ton appart ?

Il ne cacha même pas le ton moqueur dans sa voix alors qu’il haussa un sourcil évocateur, comme pour la mettre au défi de répliquer. Savoir qu’elle envisageait tout de même, dans un futur plus ou moins lointain, de partager un logement avec lui plaisait à Nathaniel. Cela prendra le temps qu’il faudra, certes, mais il savait que cela finirait par arriver. Et c’était là bien le plus important, après tout.

- Faudra voir avec elle, en fait. Les pauvres, elles sont pas habituées à me partager avec quelqu’un d’autre, elles risquent d’être égoïstes et possessives… Tu devras sans doute dormir sur le canapé au début, pour être surs…

Il disait cela avec un ton tellement sérieux, le front plissé et hochant la tête, qu’on aurait presque pu croire qu’il pensait ce qu’il disait. Mais le large sourire qu’il afficha, quelques secondes après avoir fini de parler, détruisit complètement son petit discours. Il se demanda, néanmoins, si elle allait relever le sous-entendu involontaire qu’il venait de dire. Non, ses guitares n’étaient pas habituées à le partager avec quelqu’un d’autre, tout simplement parce qu’il n’y avait jamais eu ce « quelqu’un d’autre ». Des relations de passage – quel musicien ne pouvait pas se vanter d’attirer les filles grâce à ça, de toute façon ? – et des relations sans avenir. Jamais rien qui aurait pu être assez important pour devoir faire de la place dans sa chambre. Il n’avait jamais vu l’intérêt, de toute façon. Peut-être, involontairement, attendait-il après Jaimie, comme s’il savait qu’elle allait revenir, plus importante que jamais.

- Mais j’ai cru comprendre que tu aimais le canapé donc ça va pas te poser de problème !

And I will love with urgency
but not with haste

Il n’arrivait encore à se situer par rapport à Jaimie, n’arrivait pas vraiment à savoir quel comportement adopter. Il voulait continuer avec leur complicité d’antan, continuer à la taquiner pour un rien et à plaisanter comme des enfants. Il voulait la charmer, la prendre dans ses bras, lui murmure à quel point il l’aimait. Mais il se rendait bien compte que les deux n’étaient pas vraiment compatibles. Ou peut-être que si, et c’était simplement lui qui n’était pas doué avec ces choses-là. Mais, dès qu’il posait les yeux sur elle, il était perdu, ne sachant que dire, que faire. Alors, forcément, c’était l’humour foireux qui ressortait, comme à chaque fois qu’il était nerveux, à chaque fois qu’il se devait de répondre quelque chose. Il avait presque envie de se frapper la tête contre le mur le plus proche, tant il se sentait débile dans ces moments-là.
Son visage se décomposa légèrement, quand Jaimie répondit sur le même ton taquin, se moquant de lui et de ses guitares. Il fronça les sourcils, la regardant d’un air faussement sérieux mais amusé, ce qu’elle n’eut pas le temps de voir alors qu’elle filait déjà au salon. Génial. De quoi le perdre encore plus, si elle ne savait pas non plus s’il fallait jouer la carte de la petite amie ou de la meilleure amie. Il leva les yeux au ciel avant de la suivre au salon.
Il s’étrangla vers un ricanement en la voyant essayer d’embarquer le canapé avec elle. Ce même canapé que lui et ses potes avaient galéré à mettre dans l’appartement tant il pesait lourd. Et, avec sa force de mouche anorexique, ce serait un miracle si elle arrivait à le bouger ne serait-ce que d’un millimètre. Il s’appuya contre le mur le plus proche, bras croisés, réprimant l’envie de rire ouvertement.

- Ca fait plaisir de voir que t’as bien mûri depuis tes seize ans…

L’amusement pouvait s’entendre dans sa voix et, n’y résistant plus, il se mit à rire à gorge déployée. Avec des mouvements étrangement agiles pour son grand corps bancal, il sauta sur le canapé pour s’y allonger et réduire à néant les chances de Jaimie de jouer les déménageuses. Il pencha la tête en arrière pour la regarder par-dessus l’accoudoir du canapé, lui offrant un large sourire.

- Pour une fille de militaire, t’as vraiment aucune force physique. Faudrait peut-être t’y mettre, ma grande, comment tu vas survivre à la fin du monde dans quelque mois avec tes bras tous maigres ?

Il se redressa en position assise, étirant ses jambes pour les poser sur la table basse, sans jamais se défaire de son sourire moqueur alors qu’il continuait de la regarder.

Were we too young? Our heads too strong?
To bear the weight of these lover's eyes.

Il ne pouvait s’empêcher de la fixer, sans même savoir pourquoi. Il avait bien compris, à force, qu’elle n’était pas un mirage, qu’elle n’allait pas soudainement disparaitre devant lui s’il clignait des yeux. Qu’elle était là pour rester. Mais il continuait de la regarder, droit dans les yeux, sans pouvoir s’en empêcher. Peut-être que, inconsciemment, il compensait pour toutes les années sans avoir ce visage face à lui. Mais, surtout, il la scrutait dans ses moindres détails, comme pour cataloguer les différences entre la Jaimie-Rose de maintenant et celle de son adolescence.
Même si son visage était toujours aussi rond, il s’était un peu affiné avec l’âge. Ses lèvres se faisaient plus rouges, ses cheveux plus brillants et légèrement plus longs, ses sourcils parfaitement taillés. Mais c’était ses yeux qui le surprenait le plus, tant ils étaient identiques. Les mêmes yeux, remplis de larmes, qui l’avaient supplié à l’aéroport, quelques années plus tôt. Les mêmes yeux brillants et plein de vie, semblant lire en lui comme dans un livre ouvert, le moindre de ses secrets, la moindre de ses pensées, dévoilés au grand jour devant elle. Ces grands yeux verts, il aurait pu tomber amoureux d’elle rien qu’avec ces grands yeux verts.
Et il n’arrivait à détourner le regard dans ce silence qui durait, durait, mais n’était en rien déstabilisant. Il avait l’habitude du silence entre eux, lorsqu’ils étudiaient, lorsqu’elle s’endormait contre lui dans un lit beaucoup trop petit pour deux, lorsqu’ils ne communiquaient rien que d’un regard, d’un haussement de sourcil. Il ne savait pas à quoi elle pensait, n’arrivait pas lui-même à mettre de l’ordre dans sa tête, mais n’arrivait à détourner le regard pour autant. C’en était hypnotisant.
Il la laissa se coller à lui, comme un chat contre un berger allemand, et serra ses doigts entre les siens lorsque la main de la jeune femme vint toucher la sienne. Le tout dans un silence parfait, presque religieux. Il s’humecta les lèvres doucement, se demandant ce qui allait venir ensuite. Mais, lorsqu’elle brisa finalement ce silence, lorsque les mots s’échappèrent entre ses lèvres, Nathaniel ne put s’empêcher de grogner un soupir, il pencha la tête en arrière jusqu’à l’appuyer contre le dossier de canapé.

- Jarose…

Ce fut tout ce qu’il arriva à dire, alors que tout s’emmêlait dans son esprit déjà trop embrumé. Il ne savait s’il devait se sentir rassuré de ne pas être le seul des deux à se poser ce genre de question ou alarmé du fait qu’ils semblaient être aussi perdus l’un que l’autre. Et, si lui arrivait un tant soi peu à garder ses craintes et doutes pour lui, il ne pouvait pas en dire autant d’elle.
C’était étrange de la voir ainsi, aussi vulnérable, elle qui avait toujours été une amazone, une fille forte mettant des coups de pieds dans l’entrejambe des garçons qui m’embêtaient un peu de trop. Tellement étrange de la voir craquer devant lui, presque au bord des larmes. Mais il la connaissait assez pour savoir qu’il ne devait pas l’interrompre, qu’elle avait besoin d’extérioriser ses sentiments une bonne fois pour toute.
Alors il ferma les yeux, tentant à la fois de l’écouter et de mettre en ordre ses propres pensés. Préférait-il lorsqu’ils étaient amis ? Non, non, ce n’était pas la bonne question, c’était difficilement comparable. Aurait-il préféré qu’ils ne restent amis ? Aurait-il préféré ne pas l’embrasser, dans cette ruelle, ce matin-là ? La réponse s’imposa à lui, le surprenant dans son intensité. Non. Bien sur que non. Et c’était tellement étrange pour lui qui n’avait jamais vraiment été amoureux d’elle pendant toutes ces années. Comment diable avait-il pu refouler ses sentiments pour elle sans jamais s’en rendre compte ? Parce que de tels sentiments devaient exister, après tout, ce n’était pas sorti de nulle part, au beau milieu d’un café.
Il se redressa, assez pour lui frotter le dos d’une manière se voulant rassurante, alors qu’elle continuait de déballer tout ce qu’elle avait sur le cœur. Lorsqu’elle s’arrêta soudainement, dans une dernière supplication, il se rapprocha doucement, jusqu’à ce que son torse soit collé au dos de Jaimie-Rose, l’enlaçant par derrière. Il embrassa son cou avant de poser le menton sur son épaule, la serrant un peu plus contre lui.

- On en a déjà parlé y’a une demi-heure, Jarose… Mais t’as pas encore posé la bonne question. Est-ce que je regrette de t’avoir embrassée ? Et la réponse est non. Mais j’ai toujours en tête la gamine de six ans assise toute seule dans son coin pendant la récré et il va falloir un peu plus qu’une visite guidée de mon appart pour que je me fasse totalement à l’idée que cette gamine est maintenant ma petite amie.

Il frotta son nez contre l’épaule de Jaimie-Rose, dans un geste tendre, comme pour essayer de la rassurer.

- Et si tu y réfléchis cinq minutes, on sortait déjà presque ensemble, à l’époque. Toujours collés l’un à l’autre, on a dormi ensemble plus de fois que je ne peux m’en rappeler, on est jamais sorti avec personne d’autre… Je t’aurais même invitée au bal de fin d’année si t’étais pas partie avant. On s’embrassait pas, mais on était déjà un couple.

Il se détacha d’elle et se mit debout, le temps de s’assoir sur la table basse face à elle. Il replaça tendrement une longue mèche rousse derrière son oreille et lui caressa la joue avant de ne croiser les bras sur ses genoux, se penchant vers elle.

- Je vais t’inviter au restaurant et je vais t’inviter au cinéma. Je vais écrire tellement de chanson sur toi que tu me supplieras d’arrêter. A Noël, tu vas venir avec moi en Irlande et je te présenterais à ma famille, même s’ils te connaissent déjà tous, mais je te présenterais comme ma petite amie. Un jour, je te demanderais d’emménager avec moi. Et un jour, je te demanderais en mariage et j’aurais la peur de ma vie en demandant ta main à ton père… Enfin, je lui demanderais seulement si toi tu dis oui et… Enfin, c’est pas vraiment à l’ordre du jour, là. Mais le fait est que j’ai passé plus de la moitié de ma vie avec toi et que je compte bien passer le restant de mes jours à faire la même chose. Et je te répéterais ça tous les jours s’il le faut, jusqu’à ce que tu arrêtes d’avoir des doutes, d’accord ?

You don’t know how lovely you are
I had to find you, tell you I need you

Il se contenta de hocher la tête, avec un léger sourire en coin, lorsqu’elle ne répondit que d’un mot. Cela pouvait paraitre peu, après le monologue qu’il venait de lui offrir, mais c’était plus que suffisant. Ils n’avaient pas besoin de grands discours. Juste de temps et de se prouver qu’ils se faisaient mutuellement confiance. Qu’elle pouvait lui faire confiance.
Et, alors que les lèvres de Jaimie-Rose venaient se poser contre les siennes, il ne put s’empêcher de remarquer la différence. Le malaise semblait être disparu, comme par enchantement. Pour l’instant du moins, une partie de son esprit lui rappela, mais il se dépêcha de faire taire cette partie. Ses doigts glissaient dans les cheveux de la jolie rousse, l’attirant à lui jusqu’à ne plus y avoir d’espace entre eux. Le baiser était électrisant, addictif, qu’il sentait presque le monde se dérober sous ses pieds. Rien ne comptait si c’était elle, et ses lèvres, et son parfum entêtant.
Lorsqu’elle se détacha finalement de lui, il eut le réflexe de vouloir l’embrasser à nouveau, avec un léger froncement de sourcils, empêchant au dernier moment un grognement de s’échapper de ses lèvres. Il ne voulait pas que cela s’arrête, pas maintenant, pas alors que c’était aussi parfait que cela. Mais elle lui murmura qu’elle l’aimait et il sentit son cœur gonfler dans sa poitrine, prêt à exploser, et ses lèvres formèrent un sourire alors qu’elle l’embrassait à nouveau.
Dans des mouvements instinctifs, il enroula un bras autour de la taille de Jaimie-Rose, la serrant contre lui et la soulevant, jusqu’à l’allonger sur le canapé. Il ne sut comment il réussit à faire son compte, surtout sans arrêter le baiser, mais avait autour chose en tête que de se féliciter à cet instant. Alors qu’il s’allongeait au dessus d’elle, il prit le temps de la regarder, de replacer quelques mèches rousses qui lui tombaient sur le visage. Ses lèvres furent partout ensuite. Son nez, ses joues, l’arrête de sa mâchoire, son cou, ses clavicules. Ce ne fut que lorsqu’il sentit ses mains, agissant d’elles-mêmes, relever le tee-shirt de Jaimie-Rose, qu’il s’arrêta et la regarda à nouveau, un sourcil relevé interrogativement.

- Je… Tu… J’ai…

Il referma la bouche et détourna le regard, s’insultant mentalement pour la grande éloquence dont il pouvait parfois faire preuve. La seule chose qu’il trouva alors fut de se passer une main dans les cheveux, et son étrange frange vint lui barrer le front, le rendant presque aveugle d’un œil. Il se contenta tout simplement de l’ignorer.

- Si tu trouves qu’on va trop vite… Ca serait bien de le dire maintenant. Un baiser de plus comme celui-là et je t’arrache tes vêtements en moins de deux…

Il se sentait rougir, bien malgré lui, et mit un point d’honneur à ne pas la regarder dans les yeux.

I still want to drown whenever you leave
Please teach me gently how to breathe

Il n’allait pas mentir en disant qu’il n’avait jamais été là avec une autre femme avant. Les filles qui se collaient à lui après les petits concerts qu’il pouvait faire, celles qu’il rencontrait par hasard dans un magasin, un bar, un café. Les copines un peu moches, aussi, pour rendre service au pote voulant passer la nuit avec la bombasse de service. Toutes se collaient à lui, toutes obtenaient de lui ce qu’elles voulaient. Mais jamais avec la même force, la même ardeur que Jaimie-Rose à cet instant.
Jamais rien n’avait la même ardeur que Jaimie, de toute façon. Pas même les disputes avec sa jumelle, pas même les câlins avec ses petites sœurs, pas même les conversations avec sa mère. Tout était plus passionné, plus passionnant avec elle… Plus vivant.
Et il ne s’était jamais senti plus vivant qu’en cet instant.
Avec elle.
Lorsqu’elle lui répondit, le forçant à la regarder, Nathaniel ne put s’empêcher de s’humecter les lèvres, une lueur nouvelle dans les yeux. Ce n’était peut-être pas ce que son esprit avait voulu, l’idée enfouie en lui pendant tant d’années, oubliée, abandonnée. Mais son corps était avide d’elle, durant tous ces câlins qui avaient bercé leur adolescence, ces baisers sur la joue, cette manière qu’il avait toujours eue de jouer avec les cheveux de Jaimie. Cela avait toujours été là, quelque part, à toujours vouloir la toucher, l’avoir près de lui. Et il le pouvait, désormais. Elle était toute à lui, lui donnant l’opportunité que son corps d’adolescent n’avait jamais eu. Et il n’allait pas passé à côté.
En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, elle lui enleva son tee-shirt, le faisant frémir alors que ses petits doigts froids parcouraient son torse. Elle se retrouva également sans haut, bien qu’il n’en fût en rien responsable, et il lui attrapa les poignets avec un sourire amusé.

- Easy, tiger. On va pas non plus expédier ça en cinq minutes.

Il prit alors le temps de la regarder, maintenant qu’il en avait l’occasion. Elle n’avait jamais eu une forte poitrine, plutôt du genre assez plate, et il l’avait souvent taquinée là-dessus quand ils étaient plus jeunes, et elle lui avait toujours rendu la monnaie de sa pièce quand il agissait ainsi. Mais, maintenant, avec rien de plus qu’un soutien-gorge, il aurait été le dernier à se plaindre. Elle était parfaite à ses yeux, de toute façon.
Ses mains glissèrent jusqu’aux hanches de Jaimie, alors qu’il recommençait à l’embrasser, et il dut s’y prendre à plusieurs reprises avant que le bouton de son pantalon ne cède sous ses doigts. Il fit glisser le tissu le long des jambes de Jaimie, n’hésitant pas à lui caresser les cuisses par la même occasion. Ses lèvres étaient partout, murmurant entre chaque baiser, Murmurant qu’il l’aimait, qu’il l’avait toujours aimait, qu’il l’aimait et, oh, qu’elle pouvait être parfaite. Le désir, son parfum, sa peau, tout l’étourdissait, lui faisait perdre la tête.
On disait des hommes qu’ils ne pensaient qu’avec leur entrejambe. Rien n’était plus vrai pour Nathaniel en cet instant.