CHAMBRE DE GAÏA, 2005. T’es assise en tailleur sur ton lit à répondre à des tests à la con.
Est-il l’homme de ma vie ? Non, tu le sais. Comme si tu pouvais passer ta vie avec un gars qui croit que Roméo et Juliette sont les enfants de ta prof de littérature. Heureusement pour lui, il est beau et capitaine de l’équipe de football américain. T’es pas amoureuse de lui. Est-ce qu’il l’est de toi ? Peut-être, avant que tu ne lui dises que non, tu ne coucheras pas avec lui. Et non, même pas si il t’achète un sac Louis Vuitton. Bon, un Gucci à la limite, mais Louis Vuitton, il te prend pour qui franchement, une pute de seconde zone ?! Rien que l’idée qu’il puisse penser que tu coucherais si il t’offrait un sac –Vuitton, Gucci ou n’importe, là n’est pas le problème, Mademoiselle a des principes, pas beaucoup, mais quand même- t’as eu envie de lui arracher les couilles pour lui agrafer sur le front. Non, tu n’es plus vierge, tes parents en feraient une crise cardiaque, te feraient exorciser, ô enfant de Santan, mais c’est toi qui commande, et il est hors-de-question que ce deux-de-QI te tripote –trop-.
J’ai dit que les seins, et au dessus du maillot. T’en es sûre, il ferait un piètre amant, par contre, il va faire un super cavalier samedi soir. Le capitaine de l’équipe de football américain et
toi, première de ta classe, sublime, de l’avis de tous, cultivée, drôle et une fille Bathory qui plus est. Ton nom est une fierté pour toi, tes aînés ont régné –à leur niveau- sur le lycée avant toi, et quand Preston a obtenu son diplôme, il a bien fait comprendre qu’on ne touche pas à Gaïa Bathory, sous peine de représailles. Il a prononcé le mort
meurtre, mais ‘Ton va toujours trop loin.
Un maximum de X, quittez-le immédiatement, vous n’avez rien en commun, perspicace. T’entends des bruits de talons sur le parquet de ta chambre, Lou est enfin sortie de la salle de bain. Pour faire ça, elle aurait pu y rester. Elle fait un tour sur elle-même dans sa robe de bal et te lance un regard qui veut dire
alors, tu me trouves comment ? Tu ouvres la bouche pour parler. La referme. L’ouvre. La referme.
Honnêtement ? Comme si tu avais assez de tact pour ne pas l’être de toute façon.
Tu ressembles à mes intestins après un repas de Noël. Elle lève les yeux au ciel, pas vraiment vexée par le fait que tu viennes de la comparer à un tube rempli de merde, amusée un peu –peut-être-.
T’es une pute Bathory, va crever. Ton plus beau sourire de conasse lui est adressé. Elle te balance une des godasses immondes qu’elle porte aux pieds. Pieds qu’elle a tout aussi immondes d’ailleurs. Gros sujet de vannes.
C’était la robe de ma sœur. Regard complice. Sourires mesquins. Sa sœur, deuxième gros sujet de vannes. Gros c’est le mot. Elle s’est fait engrosser à dix-huit ans, le père était un connard fini, il s’est cassé, elle est devenue énorme et mère indigne en plus. Lou serait presque aussi garce que toi en ce qui concerne sa famille. Elle vit quasiment chez toi depuis que le morveux de sa sœur est né. Ca te plait plutôt bien, à tes frères aussi, qui peuvent reluquer son cul quand elle monte l’escalier. Elle se tortille en plein milieu de la pièce pour virer son horrible robe.
Et toi, tu vas mettre quoi ? Tu hausses les épaules d’un air détaché, l’air de dire
oh, un truc sans importance, une vulgaire loque. Sic. La vérité, c’est que tu as fait les yeux doux à ton père slash ta mère slash Isobel slash Prune slash Preston pour avoir
la, importée de Paris, coûte un rein et un quart de poumon. T’as un peut pleurer chez en essayant une robe –belle, certes, mais dont tu ne voulais pas- et bim, Môman a craqué, Pôpa a raqué.
TADAAAM. Tu vas être magnifique et au pire quoi, tu piqueras un peu de fric dans la quête dimanche matin, pour renflouer les caisses. Bruits de frottements contre la porte.
Petit merdeux. Morvin si tu dégages pas ton œil du trou de la serrure maintenant je te grève le truc globuleux qui te sert à voir ! Marvin, dit Morvin à cause de sa tendance à étaler sa morve sur ses manches, quatorze ans, avant dernier de la famille, jumeau d’Eliott, et titillé par ses hormones adolescentes. Principale occupation ? Essayer de voir tes amies ou celles de tes sœurs nues.
Le porc. Tu l’entends soupirer de l’autre côté de la porte et ça te fait sourire, Lou aussi. D’ailleurs t’es quasiment sûre que cette salope fait exprès de se déshabiller n’importe où.
Ton frère à une nouvelle copine ? Elle a enfilé un tee-shirt et regarde par la fenêtre.
Emma Porter, dix-neuf ans, elle bosse au fast-food, on raconte qu’elle s’est faite sauter par le patron dans les cuisines. Il l’a rencontrée à l’église. Tu pouffes de rire. Ta mère la déteste au plus haut point. Elle en aurait bien touché deux mots à Ton’, sauf qu’elle n’est pas née de la dernière pluie, elle a déjà élevé deux adolescentes avant lui et elle sait pertinemment que généralement lorsque tu interdis à un enfant de faire quelque chose, il fera tout l’inverse. Elle ne dit rien pour cette fois. Par contre, elle a dit beaucoup lorsqu’Isobel a voulu aller dormir chez son petit copain à dix-huit ans,
hors de question !, quand Preston a fumé sa première cigarette à douze ans
tu veux vraiment que tes poumons pourrissent au point de ne plus pouvoir respirer, Preston ? –c’est la seule fois de toute sa vie où il a eu vraiment peur-, quand elle t’as surprise à te vernir les ongles pendant la messe dominicale
blasphème !. Elle veut faire de vous de bons petits chrétiens, tu la détestes pour cela et l’adore pour tout le reste. Mama Bathory est connu de tous pour faire les meilleurs gâteaux
du monde et pour avoir toujours une place, pour n’importe qui, à sa table.
Dieu aime tout le monde –tu aurais voulu qu’elle s’arrête là-
sauf les filles qui couchent avant le mariage, alors non, tu ne dormiras pas chez ce jeune homme dont j’ai déjà oublié le prénom.CHEZ MELCHIOR, 2012.Il est posé devant la fenêtre et toi dans l’encadrement de la porte. Tu te demandes à quoi il pense. Tu l’imagines paniqué et révolté et dans un certain sens, il te fait penser à ta sœur, Tammy. Tu la revois courir dans ton lit, effrayé, les cheveux en pagaille et les yeux écarquillés, pendant des années c’était le même rituel chaque nuit. Elle faisait un cauchemar, te rejoignait dans ton lit et pendant de longues minutes tu lui caressais les cheveux en lui promettant que tout irait bien que tu étais là et que ce serait toujours le cas, malgré tout. Elle finissait par s’endormir, apaisée… jusqu’à la nuit prochaine. Tu pourrais faire la même chose avec lui… mais tu sais très bien que tout n’ira pas bien. Comment ce serait possible alors que sa santé se dégrade peu à peu et, qu’à terme, il ne verra plus ? Tu n’es d’ailleurs même pas sûr que tu seras toujours là pour lui. Il va avoir besoin d’aide, dans les débuts en tout cas, et t’avais pas pour vocation de faire chien d’aveugle. Tu étais une future femme de militaire. Tu vas te retrouver aide à domicile… et bénévolement en plus de ça. Il est de dos et tes yeux ne le quittent pas. T’es même pas sûre qu’il soit encore capable de te reconnaître à une telle distance et après tout, tu ne veux même pas le savoir. A quoi bon ? La pitié du monde entier lui est déjà accordée, il n’a certainement pas besoin de la tienne. Et jamais, tu ne t’autoriserais à ressentir de la pitié pour l’homme qui partage ta vie.
Dégradant. D’ici peu de temps, les autres le regarderont comme un malade, un handicapé, quelqu’un d’incapable de s’occuper de lui-même et tout le prestige et le charisme qu’il dégageait vêtu de son uniforme aura disparu pour de bon et tout le monde attendra de toi que tu sois là pour prendre soin de lui. Mais qui prendra soin de toi ? Qui se souciera de toi à présent ? Tu seras la femme de l’ombre, le chien d’aveugle. Et puis, d’ici peu il ne pourra plus reconnaître ton visage et il l’oubliera. Tu ne pourras pas oublier toi, le passé, ce qu’était ta vie quand tout allait bien, quand tes plans étaient en bonne voie pour se concrétiser. Tu n’oublieras pas la lueur dans ses yeux lorsqu’il te regardait, le désir et l’amour que tu pouvais y lire. T’y lirais quoi maintenant ? Rien, le vide, le néant. Il foncera dans les murs et dans les gens, toute sa confiance en lui ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Tout comme ton amour pour… Ca t’horripile de t’avouer cela à toi-même mais depuis qu’il est revenu, depuis qu’il sait et que tu sais qu’il est malade, depuis qu’il est victime de cauchemars dont il ne veut pas te parler, l’amour que tu avais pour lui s’évapore petit à petit. Au fur et à mesure que cet amour disparaît, tu te retrouves face à ce que tu es réellement, lâche et égoïste. Et jalouse. Jalouse de l’homme que tu as aimé, qui te glorifiait et qui bientôt recueillera plus d’attention que toi. Tu le sais pourtant, que c’est horrible de ta part de penser ça, mais tu ne peux t’en empêcher. Tu t’approches lentement de lui et pose une main sur son épaule, plus pour te prouver à toi-même que tu n’es pas si horrible que ça que pour réellement le consoler ou lui montrer ton infaillible -sick- soutien.