Les jours passaient, bien rapidement au début. Grayson avait tant à faire, tant de monde à retrouver, tant d’habitudes à reprendre, tant de choses à re-découvrir. Les premiers jours avaient été bien remplis, et il ne les avait pas vu passé. Mais les jours commençaient à être long au bout de quelques semaines. Immobilisé à cause de la blessure à sa jambe, Gray ne pouvait plus travailler. Il ne pouvait même plus faire de sport, lui qui était un grand sportif, c’était difficile de résister à quelques efforts. Quand tout le monde travaillait, lui il tournait en rond chez lui, et ne savait plus quoi faire. Ca le mettait de mauvaise humeur parfois, mais il maudissait davantage sa foutue blessure plutôt que les gens qui l’entouraient. Autant dire qu’il évitait soigneusement de passer ses nerfs sur Roxanne, il venait de la retrouver alors ce n’était pas pour se la mettre à dos. Il boitait encore, mais un peu moins. Cet aspect handicapé le dégoutait davantage de jour en jour, et il se sentait faible et incomplet. Il ne supportait pas le regard curieux ou compatissant des gens qu’il croisait. Du coup, il évitait de sortir sans trop de raison dans des lieux fréquentés. Mais il appréciait toujours de sortir, avec sa belle comme avec ses amis. Il les avait d’ailleurs tous revus, sauf ceux qui n’étaient plus de ce monde. Au début, il fallait toujours se revoir vite pour récupérer le temps perdu, mais tout le monde était occupé de son côté, et les heures étaient longues à attendre la fin des journées de travail. Le soldat découvrait la vie des gens qui ne travaillent pas.

Il n’avait pas lâché un mot sur les raisons de sa disparition. Certains avaient bien essayés d’obtenir des explications, mais il avait toujours refusé d’en fournir. Il dormait mal, se réveillant parfois la nuit la respiration haletante, affolée. Mais il savait que ça allait passer. On ne pouvait pas revenir à la normal aussi rapidement, une période d’adaptation était nécessaire, ce n’était pas étonnant. Il tentait donc d’oublier toutes ces images et ces moments qui étaient désormais derrière lui. Il fallait aller de l’avant, passer à autre chose, envisager le futur. Tous ses projets ne le quittaient d’ailleurs pas. La préparation du mariage avançait plutôt bien. Il s’occupait de l’organisation, mais laissait certains domaines spécifiquement Roxanne. Quoiqu’il en soit, il était pressé que ce jour arrive enfin et qu’il avance pour de bon.

En fin de matinée, il sortait promener Indy dans un parc deux rues plus loin. Il n’était pas censé marcher si ce n’était pas nécessaire, mais il en avait tellement marre de rester chez lui qu’il ne respectait pas certaines règles. Il faisait attention quand même à ne pas trop s’appuyer sur sa jambe blessée, et ne s’épuisait pas. Aux alentours de midi, il prit le chemin du retour à la maison avec le chien qui était satisfait d’avoir pris un grand bol d’air, comme son maître. Il arriva dans chez lui et ouvrit la porte, laissant le chien passer devant lui pour rentrer à l’intérieur. Roxy était déjà dans la cuisine, et vu l’odeur elle avait commencé à préparer à manger. Il lui fit un sourire en entrant dans la pièce et, tout en s’approchant de l’évier, demanda : « Bonne matinée ? » . Il se lava les mains sous le robinet avant de se les essuyer avec le torchon. Il prit ensuite une chaise autour de la table, et la tira vers lui afin de pouvoir s’y asseoir.

Indy ne tarda pas à trouver le chemin de la cuisine, sans doute ayant pour objectif une gamelle bien remplie, récompense de ce petit tour effectué avec son maître. Grayson suivit l’animal dans la même pièce, mais lui voulait voir Roxanne qui était rentrée pour déjeuner. Il se laissa embrasser tandis qu’il sentait l’odeur de la viande. Il avait faim, et appréciait chaque fois l’effort que faisait sa belle pour préparer un aliment qu’elle-même ne désirait pas manger par conviction. Il ignorait comment elle faisait, lui-même étant parfaitement incapable de se passer de la viande. Rien d’inhabituel au garage, et elle avait même eut le temps de téléphoner à Jamie. Il en avait plus que marre de rester enfermé, elle le voyait sûrement. Il tournait en rond, ne savait pas quoi faire, regardait des trucs débiles à la télé, passait de longues minutes à observer à travers la fenêtre. Il n’était pas fait pour ne rien faire, il avait besoin d’action et de mouvement. Sinon pourquoi serait-il autant adepte du sport et soldat ? Il soupira légèrement, n’ayant pas envie d’importuner sa fiancée avec ses petites préoccupations de blessé. « Ca va, je m’y fais. » . En fait pas du tout, mais il n’avait pas tellement le choix.

Elle quitta la pièce quelques secondes, pendant lesquelles Grayson en profita pour s’asseoir sur une chaise. Elle revint une lettre à la main, qu’elle lui donna. Le soldat se pinça les lèvres en s’apercevant qu’elle provenait de la base. Tout ce qu’il espérait, c’était qu’elle ne se posait pas mille questions. Il n’avait pas encore pris le temps de lui annoncer qu’il ne souhaitait pas arrêter sa carrière, malgré l’incident dont il avait été victime. Il tenait toujours la lettre dans les mains lorsqu’elle vint s’asseoir avec lui et lui demanda de quoi il s’agissait. Il le savait bien. Un courrier pour prendre de ses nouvelles, mais aussi pour remplir quelques paperasses afin de certifier vouloir continuer. Enfin des choses et d’autres, auxquelles Roxy ne s’attendait certainement pas. « Oui, sûrement. » . Il plaça son pouce sous l’ouverture pour ouvrir l’enveloppe et en sortir le contenu. Il déplia la feuille et lut rapidement ce qu’elle contenait. Des encouragements dans le rétablissement, et une demande de passer au bureau pour confirmer sa non-démission en quelques sortes. Il éprouvait des remords à lire ça à côté de Roxanne, alors qu’elle n’était au courant de rien. Il posa le papier, le tournant pour qu’elle ne puisse pas en lire le contenu. Il ne savait pas comment s’y prendre. Il sortit maladroitement : « Je n’ai pas envoyé de démission. » . Cela pouvait dire tant de choses que c’était difficile de comprendre le sens de la phrase. Lui-même ignorait si c’était dans l’objectif de faire penser à sa belle qu’il allait le faire, ou si c’était pour qu’elle comprenne qu’il ne comptait pas le faire. Il fallait bien briser la glace, tôt ou tard.

Roxanne avait d’autres choses à penser, et Grayson ne voulait pas l’importuner avec son ennuie croissant, et le fait que l’envie de reprendre une activité sportive commençait sérieusement à le démanger. D’autant plus qu’avouer sa situation serait une faiblesse, et s’il y avait bien une chose que le soldat détestait, c’était apparaître comme un faible. Sa jambe le réduisait suffisamment à cet état là pour qu’il ne s’enfonce davantage lui-même. Il fut un temps soulagé de changer de sujet avec cette histoire de courrier, mais déchanta rapidement en voyant qu’il provenait de la base. Il n’y avait aucun doute, il était relancé pour donner sa décision. Un soudain malaise s’empara de l’atmosphère, dès qu’il reposa le courrier de sorte qu’on ne pouvait en lire le contenu. Il n’avait pas suffisamment préparé le terrain, et n’avait fait que repousser le moment fatidique où il faudrait annoncer à sa fiancée que, malgré l’incident qui l’avait porté disparu pendant plusieurs semaines, Gray ne comptait pas renoncer à sa carrière militaire. Il avait conscience d’imposer quelque chose de peu évident à accepter, puisqu’il avait bien failli y rester lors de sa dernière mission. Mais c’était tout réfléchi. Il esquissa un sourire gêné lorsqu’elle lui demanda de se dépêcher. Un peu maladroitement, il répondit : « Non, je suis encore blessé, ils ne peuvent pas. » . Laissant le doute planer encore un peu, il ne renonçait pas à sa carrière dans sa phrase, sans pour autant laisser entendre qu’il la continuait.

La culpabilité monta d’un cran lorsqu’elle assurait qu’elle avait bien failli le perdre, et que c’était en quelques sortes pour cette raison qu’elle l’encourageait à faire des démarches de démission. Il se disait qu’il aurait du régler la question bien plus tôt, et que désormais il était coincé. Il devait tout avouer maintenant, retarder encore le moment serait une cruciale erreur qu’il n’était pas sûr que sa fiancée lui pardonne un jour. Elle avait bien le droit de savoir. Elle sembla noter qu’il était perdu dans ses réflexions, puisqu’elle lui demandait de les partager avec elle. Son air tendre allait quitter son visage bien rapidement, Gray en était sûr. Comment allait-elle réagir ? S’énerver ? Fondre en larmes ? Quitter la maison ? Des nombreux scénarii étaient possibles, mais une chose était sûre, elle ne s’y attendait pas. Il toussota légèrement avant de se pencher en avant sur sa chaise. Il saisit doucement la main de Roxanne dans la sienne, pendant que par ce geste il allait l’attendrir et lui faire mieux accepter la triste vérité. Il hésita un moment, puis il se lança enfin. Cette mascarade n’avait que trop durer. « Je ne vais pas démissionner. » lâcha-t-il bien plus brutalement qu’il ne l’aurait voulu. Son ton n’était pas sévère, il était même presque tendre. Mais il n’en était pas moins ferme, et ne laissait présager aucun changement de position. Il sentit alors la nécessité de se justifier. « J’aime mon travail, je n’me vois pas faire autre chose. » . C’était assez difficile à expliquer, et ceux qui ne vivaient pas le métier de soldats avaient toujours du mal à comprendre comment on pouvait apprécier un tel emploi. Mais c’était ainsi, Gray était soldat et ne voulait rien faire d’autre.